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Balado - Les voix du terrain 18 - A SHARED Future : étudier l’autonomie énergétique dans le contexte des changements climatiques au profit des communautés autochtones au Canada

mars 2022

Série de balados Les Voix du terrain
Série de balados Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Voix du terrain, une série de balados produite par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). Le CCNSA met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires visant à promouvoir la santé et le bien-êt87 - Puiser dans les enseignements de la terre pour s’adapter aux changements climatiques

Cet épisode porte sur « A SHARED Future », un programme de recherche de cinq ans qui signifie « Achieving strength, health and autonomy through renewable energy development for the future » (Renforcer la santé et l’autonomie pour l’avenir par le développement de l’énergie renouvelable). Diana Lewis, une chercheuse mi’kmaq de la Première Nation de Sipekne'katik, explique que ce programme de recherche fait intervenir un certain nombre de collectivités autochtones au Canada qui travaillent sur des projets d’énergie renouvelable afin de soutenir leur autonomie énergétique. En cherchant des solutions de rechange aux industries extractives, le programme « A SHARED Future » a l’occasion d’influencer les discussions et les politiques sur les changements climatiques et, en fin de compte, de contribuer aux solutions.

 

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Biographie

Diana (Dee) Lewis, Ph. D., est professeure adjointe au Département de géographie, d’environnement et de géomatique à l’Université de Guelph. Elle est membre de la Première Nation de Sipekne'katik en Nouvelle-Écosse. Diana codirige le programme de recherche international « A SHARED Future: Achieving Strength, Health, and Autonomy through Renewable Energy Development for the Future ». Le programme examine comment les systèmes de savoirs autochtones pourraient être appliqués au développement des énergies renouvelables afin de créer des « environnements sains » en rétablissant nos relations les uns avec les autres, ainsi qu’avec la terre, l’air et l’eau qui nous entourent. Diana s’emploie depuis longtemps à faire mieux connaître les aspects uniques de la santé environnementale autochtone, en particulier celle liée à l’exploitation des ressources ou au développement industriel. Ses travaux portent sur l’élaboration d’un cadre d'évaluation des risques de santé environnementale issu de la perspective autochtone.

 

Transcription

Diana Lewis : Kwé, n'in teluisi Diana Lewis. Teleyawi Sipekne'katik. Je m’appelle Diana Lewis. Je suis Mi’kmaq de la Première Nation de Sipekne'katik du Mi’kma’ki, dans les provinces atlantiques. Depuis le 1er janvier, je suis professeure adjointe à l’Université de Guelph au Département de géographie, d’environnement et de géomatique.

Roberta Stout : Pouvez-vous m’en dire plus sur le programme « A SHARED Future » et comment il a vu le jour?

Diana Lewis : « A SHARED Future » a vu le jour lors d’un projet précédent sur lequel Heather Castleden et moi avons collaboré. Heather Castleden travaille à l’Université de Victoria et, ensemble, nous codirigeons « A SHARED Future ». Nous avions collaboré sur un projet de gouvernance de l’eau, et la dynamique de travail dans notre groupe (des chercheurs et des membres de communautés et d’organisations autochtones et non autochtones) était si bonne que nous avons cherché à poursuivre notre collaboration une fois le projet terminé.

« A SHARED Future » signifie « Achieving strength, health and autonomy through renewable energy development for the future » (Renforcer la santé et l’autonomie pour l’avenir par le développement de l’énergie renouvelable). Notre équipe de chercheurs se penche sur les projets en examinant les questions de santé et de répercussions environnementales. En partant d’une approche fondée sur les forces, nous souhaitions mettre en évidence le travail des collectivités au pays. L’énergie renouvelable occupait alors l’avant-plan, et nous voulions savoir ce que faisaient divers leaders et gouvernements communautaires pour affirmer leur autonomie sur le plan de l’énergie renouvelable et si cette volonté trouvait véritablement un écho dans les projets auxquels ils participaient. Nous avons donc pris contact avec un certain nombre de communautés au pays qui prennent part à des partenariats offrant un excellent potentiel en matière d’autodétermination et de sécurité énergétique. C’est une perspective intéressante à considérer alors que nous avançons ensemble vers la réconciliation et une vision d’avenir saine.

Roberta Stout : Quand vous parlez d’énergie renouvelable, que voulez-vous dire exactement? Quels sont certains des projets qui s’y rapportent?

Diana Lewis : Il existe différents projets à divers endroits au pays, dont l’un que je codirige avec la Première Nation de Tobique au Nouveau-Brunswick, qui consiste en un partenariat pour un parc éolien de 20 mégawatts à Sussex, au Nouveau-Brunswick. Pour cette année seulement, le projet a généré près d’un million de dollars de revenus à la communauté. Et la Première Nation de Tobique n’entend pas s’arrêter là : elle s’intéresse aussi à la bioénergie et à l’énergie solaire. Sur des terres adjacentes à la communauté, Énergie Nouveau-Brunswick avait installé dans les années 1950 une centrale hydroélectrique sans obtenir leur consentement. Ayant perdu du territoire quand ses terres ont été inondées, la communauté a voulu affirmer son autodétermination et a arrêté de payer ses comptes d’électricité pour forcer Énergie Nouveau-Brunswick à discuter; des pourparlers sont en cours afin de négocier cinq mégawatts pour la communauté provenant de ce projet. Ils ont une approche très avant-gardiste quant aux projets énergétiques qu’ils envisagent. Un autre des projets associés à « A SHARED Future » – qui s’intitule « From the Ocean Floor to the Mountain Top » (Des fonds océaniques au sommet des montagnes) – concerne la Première Nation T'Sou-ke. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de cette nation, mais celle-ci représente un chef de file sur le plan de l’énergie renouvelable en Colombie-Britannique. Ils ont eu l’idée géniale d’installer des panneaux solaires sur une serre où ils font pousser du wasabi – du wasabi, n’est-ce pas étonnant! Certains ne savaient pas vraiment ce qu’est le wasabi, mais ils avaient un partenariat commercial avec le Japon, je crois, pour fournir le wasabi nécessaire aux restaurants du pays. Dans le cadre de ce projet, nous avons imaginé les prochaines étapes à envisager, par exemple l’installation de panneaux solaires sur toutes les maisons de la Première Nation T'Sou-ke.

Diverses communautés au Canada prennent part à ces initiatives et à ces partenariats commerciaux vraiment intéressants. Les autres possibilités qui découlent de ces occasions sont une des choses que nous souhaitions vraiment mettre en évidence dans ce partenariat. La Première Nation T'Sou-ke s’est jointe à « A SHARED Future » avec beaucoup de générosité et a accueilli notre première rencontre.

Un autre projet s’intéresse aux femmes dans le secteur de l’énergie renouvelable (« Women in Renewable Energy »). Au départ, très peu de femmes s’étaient engagées. Nous avons donc voulu montrer qu’il s’agissait d’une iniquité dans ce secteur : les femmes autochtones n’y jouent pas un rôle très significatif. Au démarrage de « A SHARED Future », nous avons analysé les politiques gouvernementales et effectué les recherches dont ces communautés avaient besoin sur la façon dont les politiques les servent ou pas. Les représentants du gouvernement parlent de « réconciliation »; si on critique une politique et la manière dont on l’applique, s’agit-il de réconciliation ou de statu quo?

Roberta Stout : Qu’est-ce qui fait qu’il s’agit bien de réconciliation?

Diana Lewis : Et bien, je dirais qu’on parle de réconciliation quand il y a une reconnaissance véritable que les peuples autochtones peuvent prendre en main leur avenir. On évite de se présenter aux discussions avec un plan prédéterminé ou bien défini pour échanger véritablement et soutenir l’autonomie des communautés à prendre leurs propres décisions. Quand on fait l’analyse critique des politiques, on s’aperçoit que c’est rarement le cas et que la réconciliation s’est vidée de son sens.

Roberta Stout : Vous avez mentionné l’autonomie énergétique. Pourquoi est-il important d’accéder à l’autonomie énergétique?

Diana Lewis : Mon intérêt dans ce secteur remonte à l’époque où j’ai terminé ma maîtrise. L’Atlantic Policy Congress of First Nation Chiefs m’a alors demandé de déterminer où se situaient les Premières Nations dans le secteur de l’énergie renouvelable et quel était le potentiel des communautés de la région en la matière. Une des grandes questions qui touchaient nos communautés à l’époque, vers 2013, était que les dépenses énergétiques coûtaient très cher : les administrations de bandes autochtones devaient payer les frais d’électricité des personnes sur l’aide sociale.

Dans la région atlantique, le pourcentage d’Autochtones qui dépendent de l’aide sociale est très élevé. J’ai fait alors des projections pour voir ce que cela représenterait à l’avenir si notre croissance se maintenait, comme nous sommes la population qui croît le plus vite. L’augmentation du financement était alors plafonnée à 2 % par an (c’était avant l’arrivée de Trudeau, pendant le gouvernement conservateur). On se dirigeait tout droit vers une crise, car les budgets n’allaient pas pouvoir couvrir la hausse des dépenses énergétiques. Les leaders devaient donc trouver une solution. Ils n’avaient pas vraiment réfléchi au dilemme qui se posait à l’époque : ne rien faire et aboutir à une crise, ou bien évaluer les solutions énergétiques et les initiatives de conservation? J’ai montré ces prévisions aux dirigeants, et ça a vraiment retenu leur attention. Selon moi, quand il est question d’autonomie, de sécurité énergétique et d’autodétermination, la prise de décisions doit se faire en examinant les faits sur le terrain et en trouvant les meilleurs moyens de répondre aux besoins; ça n’a pas de sens que le gouvernement vienne imposer d’en haut sa solution pour la communauté.

Roberta Stout : En vous inspirant de vos travaux et des projets jusqu’à présent, pouvez-vous donner des exemples qui illustrent les forces et le leadership des communautés qui s’orientent vers l’autonomie énergétique ou l’énergie propre et renouvelable? Quel rôle de leadership constate-t-on sur ce plan à l’échelon communautaire? Quelles sont certaines des forces que vous avez observées dans le travail effectué jusqu’à maintenant?

Diana Lewis : J’ai déjà parlé de la Première Nation T'Sou-ke et du projet de serre et de culture du wasabi, ainsi que du travail que fait la Première Nation de Tobique, qui s’apprête à s’engager davantage dans la communauté. Un plan énergétique communautaire a déjà été élaboré; ils savent ce qu’ils veulent accomplir et comment devenir une communauté carboneutre. C’est réjouissant de savoir que ce genre de réalisation a lieu dans des communautés des Premières Nations. Il n’y a pas beaucoup de publicité entourant ces initiatives vraiment novatrices qui existent dans nos collectivités, mais ce travail est bel et bien réel. Nous adoptons une approche de partenariat axée sur la communauté : celle-ci détermine quelles sont les priorités de recherche. Cette année, avec la Première Nation de Tobique, nous allons établir une mesure des résultats de santé et déterminer si la question énergétique fait partie des déterminants de la santé. Pour revenir à ce que je disais sur le fait de présenter les données aux dirigeants : ce que nous avons remarqué en travaillant avec les communautés, c’est qu’elles ne disposent pas de données de référence en santé. Nous devons donc aller chercher ces données de base pour être capables d’établir des mesures à l’avenir. Si nous obtenons maintenant des données sur l’état de santé dans la communauté, nous pourrons voir dans cinq ans si le fait de participer plus activement à la planification énergétique a fait une différence, et à quel point.

Nous veillerons alors à tout rendre public (l’état de santé, la méthodologie, etc.) dans l’espoir que d’autres communautés reproduisent les projets sur lesquels nous travaillons.

Roberta Stout : Quels seront les effets de « A SHARED Future » sur l’action ou les solutions climatiques?

Diana Lewis : Les communautés avec lesquelles nous collaborons voient avant tout l’énergie renouvelable comme une façon de satisfaire leurs besoins énergétiques. En se penchant sur la question, elles ont pris conscience que la conservation représente une part importante de l’équation. Comment conserver l’énergie tout en établissant des partenariats en énergie renouvelable qui visent à fournir des sources de revenus à la communauté? Qu’il s’agisse du solaire, de la bioénergie, de l’éolien ou de l’hydroélectricité à petite échelle, ces options offrent toutes des solutions de rechange aux industries extractives qui sont si néfastes pour le climat et qui contribuent aux émissions élevées produites par notre pays. Quand je réfléchis à ce qui fait la valeur de « A SHARED Future, c’est la possibilité d’influencer les discussions sur les changements climatiques ou même de mettre en évidence certaines des solutions.

Notre projet est le seul au Canada dans lequel une équipe de chercheurs et de partenaires communautaires mettent en évidence les initiatives et partenariats encourageants qui ont lieu et les communautés qui obtiennent du succès. Si nous arrivons à présenter nos analyses à l’industrie et au gouvernement en publiant dans des revues spécialisées ou des publications du gouvernement ou de l’industrie (ou bien en publiant dans des espaces médiatiques plus grand public, comme The Conversation), il se peut que nous arrivions à influencer les débats politiques entourant les solutions en matière de changements climatiques. Nous sommes aussi en contact avec un forum international de conseillers issus d’autres États coloniaux qui partagent avec nous leurs solutions et écoutent les solutions que nous leur proposons. La pertinence est non seulement nationale, mais aussi internationale, ce qui est aussi vraiment motivant.

Roberta Stout : Je trouve que vous faites un travail incroyable. C’est fascinant, mais c’est aussi particulièrement utile alors que nous tentons de prendre davantage de mesures pour nous attaquer aux changements climatiques. Je vous remercie infiniment.

Diana Lewis : Il n’y a pas de quoi.

Roberta Stout : Pour écouter d’autres balados de cette série, consultez « Les voix du terrain » qui se trouvent sur le site Web du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, à ccnsa.ca. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions. Il s’agit d’une œuvre en usage partagé, utilisée sous licence Creative Commons. Pour en apprendre davantage, consultez le www.sessions.blue (lien en anglais)

 

Téléchargez la transcription.