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Baladodiffusion : Les voix du terrain 006 - L’eau : notre premier parent, notre responsabilité première

septembre 2017

Un séries baladodiffusion : Les voix du terrain
Un séries baladodiffusion :
Les voix du terrain

Les voix du terrain

Bienvenue aux Les voix du terrain, un balado produit par le Centre de la collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA) qui met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires promouvant la santé et le bien-être des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 6 : L’eau : notre premier parent, notre responsabilité première

Cet épisode a été réalisé conjointement par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (CCNMI) et le Centre de collaboration nationale en santé environnementale (CCNSE).

Cet épisode s’inspire d’un discours liminaire prononcé par Priscilla Settee (AN) lors du quatrième Congrès annuel de recherche sur l’eau des Premières Nations (First Nations Water Research Conference), Create H2O, organisé par le Centre for Rights Research de l’Université du Manitoba (AN) (1er et 2 juin 2017). Dans son discours bien ancré dans une perspective des droits de la personne, Mme Settee a fait référence à un certain nombre d’organismes et de rapports axés sur les crises de l’eau, y compris les perpétuels avis sur la qualité de l’eau potable et leurs répercussions sur la société et la santé des Premières Nations dans tout le Canada. Voici des références utiles (en anglais) :

David Suzuki Foundation and the Council of Canadians (2017). Glass half empty? Year 1 progress toward resolving drinking water advisories in nine First Nations in Ontario [Rep.]. (2017, February). Retrieved from https://davidsuzuki.org/wp-content/uploads/2017/09/REPORT-progress-resolving-drinking-water-advisories-first-nations-ontario.pdf


Make it Safe. (2017, June 06). Retrieved from https://www.hrw.org/report/2016/06/07/make-it-safe/canadas-obligation-end-first-nations-water-crisis


Mitchell, K. (2017, February 24). Drinking water crisis in First Nations communities violates human rights [Blog post]. Retrieved from https://www.ecojustice.ca/drinking-water-crisis-first-nations-communities-violates-human-rights/


Mme Settee a averti de la présence d’un stress continu sur les cours d’eau, causé par la fracturation, la production pétrolière et l’activité minière. Ses données ont démontré que la contamination des cours d’eau avait invariablement des incidences sur la santé et le bien-être des êtres humains. Par conséquent, on a observé une vague de résistance de la part de ceux qui sont le plus touchés par la contamination de l’eau. Elle a remarqué en particulier le travail des marcheurs du groupe Mother Earth Water Walk (AN), qui ont fait le tour des Grands Lacs pour sensibiliser la population au caractère sacré de l’eau. Elle a conclu sa présentation en demandant aux participants de rédiger une déclaration organique et vivante pour l’avenir de l’eau.

 

Écoutez sur SoundCloud (en anglais)

 


 

Dr. Priscilla Settee
Priscilla Settee,
Université de la Saskatchewan

Bio

Enseignant tant les études autochtones (AN) que les études sur les femmes et le genre (AN) à l’Université de la Saskatchewan, Priscilla Settee (AN) est également membre de la Nation des Cris de Cumberland House. Elle partage avec le monde entier son expertise sur le plan des connaissances scientifiques autochtones, y compris des aliments traditionnels. En 2013, on lui a attribué le Prix du soixantième anniversaire de la reine Elizabeth pour ses contributions personnelles au pays.

Transcription

Voix hors champ : Bienvenue aux balados Les voix du terrain, produits par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). Cette série met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires promouvant la santé et le bien-être des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada. Dans cet épisode, nous entendons Dre Priscilla Settee, membre du corps professoral des études autochtones ainsi que des études sur les femmes et les genres à l’Université de la Saskatchewan.

Le texte qui suit est une version remaniée de sa présentation faite dans le cadre de la quatrième conférence Create H2O First Nations Water Research Conference (conférence annuelle sur les recherches sur l’eau des Premières nations), organisée par le centre pour la recherche sur les droits humains de l’Université du Manitoba.

Sa présentation s’intitule : « L’eau, notre premier parent, notre responsabilité première ». Dans sa présentation, elle affirme que l’accès des Autochtones à l’eau potable est menacé par des sous-produits toxiques associés à la fracturation et aux activités pétrolières et minières menées à proximité de centaines de communautés autochtones.

Priscilla Settee : Bonjour à tous. Je vais parler d’un certain nombre de rapports et d’organisations traitant des crises de l’eau, des problèmes qui affectent la qualité de l’eau (y compris les implications juridiques) et les questions de politique.

Dans son ouvrage Boiling Point: Government Neglect, Corporate Abuse and Canada’s Water Crises, Maude Barlow montre que l’eau nous apprendra le vivre ensemble. Il nous faut un solide plan d’action national fondé sur une nouvelle éthique en matière de protection de l’eau et de la justice pour mettre ces préoccupations au cœur de toutes nos politiques et lois. Des générations durant, on a déversé dans l’eau tout et n’importe quoi, nous l’avons utilisé pour la production d’aliments chargés de produits chimiques et l’avons déviée de ses cours et de son écosystème pour la mettre au service de l’industrie et des populations urbaines.

Dans l’ensemble du pays, les réglementations en matière de protection de l’eau ne sont pas harmonisées, elles sont généralement insuffisantes et varient d’une province à une autre. De plus, les règles fédérales sont pratiquement inexistantes, ce qui a un énorme impact sur les réserves et les communautés des Premières nations qui se trouvent dans les zones de compétence fédérale.

J’aimerais aussi souligner quelques situations à travers le Canada qui touchent les communautés des Premières nations. Depuis 1995, la Première nation de Neskantaga, en Ontario, a un avis de faire bouillir l’eau. Je cite : « Depuis plus de vingt ans, nos gens ne peuvent pas boire l’eau du robinet ni prendre un bain sans avoir d’éruption cutanée ».

Le chef, Wayne Moonias, a déclaré à la SRC en 2015 que les problèmes d’eau de sa communauté n’étaient pas encore résolus. Et ce ne sont pas les seuls. Depuis l’hiver 2016, et beaucoup d’entre vous le savent, on dénombre 163 avis d’ébullition de l’eau potable dans 119 collectivités des Premières nations au Canada. Plus d’une centaine sont systématiquement en vigueur, certaines le sont pendant des années, voire des décennies. Et les maladies véhiculées par l’eau, telles que la dysenterie et la shigellose, sont fréquentes.

Dans l’environnement, on trouve des contaminants, tels que le mercure; et on se souvient des histoires de Grassy Narrows et de Whitedog il y a près de 50 ans. Les poisons n’ont pas disparu, ils se sont déposés au fond de l’eau, mais ils affectent encore les gens de la région. Les PCB, les toxaphènes et les pesticides menacent nos communautés.

J’aimerais aussi prendre quelques minutes pour parler de rapports qui confirment les crises de l’eau potable que vivent les Premières nations. Beaucoup de ces rapports sont théoriques, mais beaucoup font également partie de la documentation parallèle.

Prenez l’exemple d’Human Rights Watch qui a mené des recherches dans les collectivités des Premières nations de la province de l’Ontario pour saisir les impacts des crises sur les humains et comprendre pourquoi les problèmes d’eau et de son assainissement persistent. Cette étude révèle que le gouvernement canadien contrevient à une série d’obligations internationales en matière de droits de la personne envers les personnes et les communautés des Premières nations en ne remédiant pas aux graves crises de l’eau. Leur recherche montre que si les problèmes de santé publique les plus graves, les maladies transmises par l’eau et les décès connexes ont été évités principalement par des avis de faire bouillir l’eau, les coûts sociaux et les impacts des crises sont considérables.

Dans des collectivités comme Neskantaga et Shoal Lake, quarante Premières nations ont reçu des avis depuis environ vingt ans, toute une génération d’enfants a grandi sans pouvoir boire l’eau du robinet. Cette génération commence à avoir des enfants et à désespérer.

Je veux aussi mentionner certaines difficultés quotidiennes qui découlent du fait de vivre avec un avis d’ébullition pendant des années. Certaines personnes deviennent frustrées et boivent l’eau sans la faire bouillir ou la traiter et s’exposent ainsi aux contaminants. D’autres utilisent de l’eau contaminée pour le bain ou les tâches ménagères, comme la vaisselle ou la lessive. D’autres encore évitent l’eau à tout prix, mais n’ont pas suffisamment d’eau potable pour combler leurs besoins quotidiens. De nombreuses familles interrogées par Human Rights Watch ont dit souffrir d’infections de la peau, d’eczéma, de psoriasis et d’autres problèmes cutanés qui, selon eux, sont associés aux conditions de l’eau dans leurs maisons.

Debora, une femme de la communauté Grassy Narrows, explique combien il a été difficile de guérir l’éruption cutanée récurrente de son fils de neuf ans. Je la cite : « Je l’ai souvent amené à la clinique et chaque fois, on me disait que c’était de l’eczéma. Un jour, son ventre et ses fesses sont devenus vraiment rouges, avec beaucoup de suintements et ça s’est répandu. La pommade qu’ils m’ont donnée n’a pas fonctionné. Je l’ai ramené à la clinique. » Enfin, son fils a reçu un diagnostic de maladie de la peau qui résiste à la plupart des antibiotiques. Et je parlais justement à ma collègue du travail très important qu’elle accomplit ici et du fait que certaines personnes souffrent au quotidien d’infections qui ne sont plus traitables par antibiotiques.

Le fils de Debora ne peut pas prendre son bain avec l’eau du robinet; ils utilisent de l’eau embouteillée versée dans de récipients. « Je l’éponge avec de l’eau en bouteille à même les récipients; je le lave de cette façon. Mon fils a maintenant des cicatrices à l’endroit où l’éruption cutanée a commencé. Pour l’instant, il n’a pas d’irritation, mais elle revient de temps en temps. Ça ne disparaît pas totalement, à cause de l’eau, mais maintenant nous savons comment contrôler l’infection. » Ce n’est qu’un des nombreux faits de la vie quotidienne de femmes qui tentent de prendre soin de leur famille.

La Fondation David Suzuki et le Conseil des Canadiens ont publié un bilan qui évalue les progrès réalisés par les gouvernements pour respecter leurs engagements dans neuf communautés des Premières nations de l’Ontario ayant reçu le plus grand nombre d’avis de faire bouillir l’eau au Canada.

Ils ont donc produit ce rapport intitulé The Glass Half Empty et ont constaté que dans trois communautés, des avis ont été levés ou le seront probablement d’ici cinq ans. Des efforts sont déployés dans trois autres communautés, mais il y a incertitude quant à savoir s’ils réussiront dans cette période de cinq ans. Il est peu probable que trois autres avis soient levés dans un délai de cinq ans sans réformer les processus et procédures. Dans une communauté qui a vu la levée de l’avis, de nouveaux problèmes d’eau potable ont émergé, ce qui montre bien la nécessité de solutions durables à long terme.

Passons maintenant à la fracturation, à l’exploration pétrolière et à l’exploitation minière. Ces trois secteurs ont été pointés du doigt par les chercheurs comme une grande source de préoccupation en ce qui concerne l’eau.

Au chapitre de la fracturation, des bassins de décantation couvrant une superficie de 170 kilomètres carrés rejettent chaque jour 11 millions de litres d’eau contaminée. De plus, 8,32 millions de litres d’eau sont utilisés pour la fracturation d’un puits, et parfois plus. En mars 2015, le gouvernement de l’Alberta a publié un cadre de gestion des bassins de décantation des sables bitumineux d’Athabasca. On a constaté que le volume total des résidus liquides, un sous-produit toxique des sables bitumineux de l’Alberta, avait atteint 1180 milliards de litres en 2015.

Et ne passons pas sous silence le mauvais dossier de la Saskatchewan en matière de sécurité, et la raison pour laquelle j’ai de profondes inquiétudes comme citoyenne. En 1999, il y a eu un déversement de 3 180 000 litres de la ligne 3 d’Enbridge, à Pilot Butte. Comme il s’est produit juste à côté d’une réserve des Premières nations nakota, ce déversement n’a vraiment pas eu la couverture médiatique qu’il méritait. En parlant aux gens de la communauté, on n’a toujours pas traité le problème de manière appropriée. Depuis 2006, il y a eu 8 000 déversements industriels en Saskatchewan, dont 17 pour cent provenant de Husky Energy, le plus grand producteur de la Saskatchewan, et les registres d’inspection de déversements de pipelines de Husky n’ont toujours pas été rendus publics. Le manque de transparence est donc un problème fondamental.

Après la production d’électricité, l’exploitation minière vient au deuxième rang de l’utilisation industrielle d’eau. Écojustice, une organisation canadienne à but non lucratif pour les droits de l’environnement, a signalé qu’entre 2006 et 2009, environ deux millions de tonnes de polluants, incluant le plomb, l’acide sulfurique et les agents cancérogènes tels que l’arsenic, le nickel et le chrome, ont été libérées au Canada par les mines, dans les bassins de décantation et les dépôts de stériles.

Avec des infiltrations à létalité aigüe dans l’eau et la connaissance de fuites depuis au moins 1997, l’Ontario est dans le haut du classement au chapitre de la responsabilité environnementale dans le secteur minier, et la province compte 4 412 sites miniers actifs et abandonnés et 5 000 risques enregistrés liés à des mines.

Le point que je veux soulever avec tous ces chiffres, c’est qu’il y a des poches d’extrême richesse qui ont carte blanche pour utiliser notre eau précieuse et qui ne paient pas les impôts dus, mais les citoyens ordinaires, eux, doivent laver leurs enfants avec de l’eau en bouteille. Où est la justice?

Enfin, et il n'y a pas lieu de s'en réjouir, la résistance qui découle de tout cela, avec un soutien partiel de nos chercheurs scientifiques qui s’allient à la cause, vient vraiment du terrain, des gens qui ont le courage de s’attaquer à ces problèmes parce qu’ils vivent avec la contamination.

Je termine avec les marches pour l’eau. Deux grand-mères et un groupe de femmes et d’hommes anishinaabe sont passés à l’action en faisant le tour des Grands Lacs à pied et de manière très humble pour parler du caractère sacré de l’eau.

La première marche annuelle des femmes pour l’eau a eu lieu en avril 2003. Plusieurs femmes de différents clans s’étaient alors rassemblées pour sensibiliser la population à la pollution de nos eaux potables par les produits chimiques, les émissions des véhicules, les bateaux à moteur, l’élimination des eaux usées, la pollution agricole, la décharge des sites d’enfouissement et l’utilisation résidentielle. Et à l’heure où l’on se parle, il y a une marche en cours.

On souhaite sensibiliser toutes les personnes à l’importance de l’eau et soutenir les marches annuelles dans toute la région. Cela demandera un appui, une reconnaissance, une prise de conscience de l’importance de la salubrité des eaux des Grands Lacs et de toutes les eaux.

Merci de votre écoute attentive et intéressée. Merci!

Voix hors champ : Pour de plus amples renseignements sur Priscilla Settee (AN) et sur la conférence Create H2O First Nations Water Research (AN) ou pour entendre d’autres balados dans cette série, visitez la page d’accueil Les voix du terrain. Vous trouverez le lien sur le site Web du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone à ccnsa.ca.

Cet épisode a été réalisé conjointement par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (CCNMI) et le Centre de collaboration nationale en santé environnementale (CCNSE). Sa réalisation a été possible grâce à la contribution financière de l’Agence de la santé publique du Canada. Les opinions exprimées dans ce document ne reflètent pas forcément celles de l’Agence.

 

Voir la biographie et la transcription du conférencier